Paris, France, 2020.
Confinement - Jour 11 officiel, Jour 13 en réel, crise du Coronavirus -
Extrait d'un énième journal, de l'intime, donc; mais un peu censuré.
(...)
Je lis Apollinaire à haute voix. Pas Alcools, mais Calligrammes. Non, ça, alcools, je les boirai.
Guillaume Apollinaire, ce russe élevé à Rome, est mort il y a cent ans et deux années. Après maintes batailles, amours, quelques jeunesses, un français impeccable et du sang de soldat, il s’est fait enlever par la grippe espagnole.
Ah. Les cerveaux les plus beaux ne vainquent pas toujours. Les jeunesses les plus enthousiastes n’ont pas grande protection face au hasard des maladies et à l’hiver des vies.
Je me dis - puisque je me parle à moi-même après deux semaines avec moi et moi- que j’aurais aimé le connaître. Au sens biblique, aussi. Oui. Devenir son amante, répliquer ses poèmes, les lire, dire et redire, et y répondre, encore, en vers et en prose; c’est tout à fait grisant, les lettres. C’est tout à fait grisant, les hommes qui savent écrire, parler, refaire le monde. Du moins, moi, ça me grise.
Bon, je dois être en manque de romantisme et de correspondances manuscrites, voilà tout.
Mais, tout de même … cet homme est fascinant, n’est-ce-pas ? Comme beaucoup de littérateurs, certes. Mais particulièrement. Il était si actif; amoureux de l’actif. Combattant de son destin tout tracé, homme de voyages, de langues, d’engagements.
Nous, nous écrivons confinés, avec le monde un peu trop mou autour - certes - , mais protégés, relativement, au calme et nous arrivons encore à être sombres ? Lui, il écrivait sous les bombes, les balles, le sang, dans les tranchées; constant. Déterminé. Optimiste. Du courage ? Une nécessité ? Qu’importe. Le lire est fascinant, l’imaginer dans un train rencontrant Madeleine encore plus, fumant de l’opium avec Lou - une femme divorcée qu’il courtise - tout autant.
L’imaginez-vous écrire, parfois ?
Lui ou tout auteur du passé que vous aimiez ? Ceux qui ont vécu des périodes incroyables sur le plan social, politique, ou dans des contrées éloignées ?
Je vous y encourage. Ce peut-être chronophage, mais c’est surtout révélateur des liens et des fossés entre fiction et vie réelle.
Quand je lis des auteurs un peu régulièrement, ce que j’aime, c’est savoir pourquoi, comment ils ont écrits. Pour qui. Chercher des traces et des indices dans leurs biographies et mémoires, les lettres qu’ils auraient laissées; voyez ? Regrouper tout ça, toutes ces pistes, et spéculer. L’histoire de l’histoire nourrit cette dernière et la colore de teintes merveilleuses, inavouées, ou perverses, même, parfois.
Et cette deuxième lecture, quand on aime un auteur, est jouissive. On n’aura jamais d’assurance que quoi que ce soit est vrai, bien sûr. Mais c’est un voyage de l’imaginaire, encore, après le premier qu’offre la lecture pure du roman, du poème, de l’essai, de l’article.
Donc moi, je les imagine vivants, ces auteurs, à leur époque. Je me fais le film. Je m’invente leur voix, leur visage, leurs tics.
Les quelques photos qui traînent de Guillaume Apollinaire, pour revenir à lui, ne lui font sans doute pas justice, il n’est pas esthétiquement beau, figé. Mais je suis certaine que son âme brillait dans ses yeux au Vivant, et qu’il devait retourner les esprits autant que les charmer, et, sans doute, les briser. Avouons-le, j’aurais bien aimé qu’il me fasse vibrer, puis souffrir, je crois.
Bon.
Puisque rien de tout cela n’arrivera, et puisque le temps continue de se figer, je le tue; je lis Calligrammes à haute voix, la lumière du soir se couchant sur les pages qui montent et descendent au rythme des pédales du vélo-elliptique que j’actionne à la fois, pour mieux me concentrer. Et ça fait drôlement voyager.
Lire, lire, il paraît, c’est le voyage des pauvres. J’ajouterais “et des confinés”. (...)
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