Paris, France, 2020.
Confinement - Jour 13 officiel, Jour 15 en réel, crise du Coronavirus -
Extrait d'un énième journal, de l'intime, donc; mais un peu censuré.
Décidément, c’est une journée à psychanalyse, à introspection, ce dimanche.
Je ne sais pas comment ni pourquoi, mais puisqu’on a “perdu” une heure cette nuit en reculant nos réveils, je me retrouve prise par l’envie de remonter le temps.
Devenir un détective voyageant dans sa propre vie, et les méandres de son esprit sera mon jeu du jour.
Bon.
(...)
Il est deux heures quarante-cinq du matin, officiellement, au lieu de ce que mon corps pense être une heure-quarante cinq et il faut que je redescende.
Bon.
Allez savoir pourquoi, je trouve comme solution de continuer à éplucher tous les carnets que je peux trouver dans le fameux “tiroir magique” de ma chambre.
Frénétiquement, me voilà à présent replonger dans mes “carnets à sms”.
Oui, vous avez bien lu. Les carnets de textos.
Du mois d’août 2000 au mois de juin 2005, je recopiais méticuleusement tous les SMS que je recevais dans de petits carnets rigides, (...)
Sur le moment, je faisais cela dans l’optique de pouvoir relire les messages de mes proches dans les moments de blues, bien forcée à les écrire pour en avoir trace puisque les téléphones portables de l’époque avaient des mémoires très courtes et légères. (...).
Des années après, ce sont des traces du point de vue subjectif de ceux que j’ai aimé sur les relations que nous avions.
Comme pour mes journaux intimes d’enfant, j’avais bien-entendu déjà ré-ouvert ces carnets, mais seulement à des occasions particulières et tristes, et notamment à la mort de mon meilleur ami, il y a maintenant sept ans.
J’avais vécu une belle histoire d’amour en 2005 avec lui, avant de créer notre solide relation d’amitié de sept années, jusqu’à sa mort.
Ainsi, évidemment, quand il est décédé jeune et si vivant, soudainement, d’un message au vide, j’avais eu besoin de relire tous ses mots d’amour.
(...)
Mais je n’avais pas lu le reste, j’avais sélectionné, et, encore une fois, j’étais larmes et secousses lors de cette relecture.
Ce soir - cette nuit - , c’est différent. Me voici devant un recueil de mots d’amour, de mots quotidiens, de traces d’amitié et d’intérêt très lointains et pourtant vibrants, chacun signé d’un nom dont je me souviens vivement du visage, des traits, que ces personnes soient encore ou non dans mon entourage, dans ma vie.
J’ai retrouvé mes amoureux de ces années et leur manière d'écrire leurs attirance et soifs de moi à leur manière, toutes singulières.
J’ai retrouvé les conseils plein d’amour de mon père - et nos silences des jours durant - , les rares pardons de ma mère plein de maladresse mais d’amour; les soutiens affectueux de mes meilleurs amis dans mon combat contre la maladie et le spleen, leurs confidences sur leurs amants, leurs peurs, leurs échecs scolaires, leurs joies ou leurs projets légers, et plein de quotidien de collègue étudiant à collège étudiant.
Comme c’est affable !
Il y a les endroits qui reviennent en tête et, à la fois, les tensions, les douceurs. C’est assez bouleversant. Tous, je les reçois avec le sourire, comme quelque-chose de tendre et de vieilli qu’on aime retrouver mais qui a changé d’odeur et de valeur; comme une belle rose mais fanée. LA rose belle mais fanée. Celle qui aurait trônée dans le plus beau des vases, lors de la plus importante et belle des cérémonies; une rose inoubliable.
Oui.
Ces carnets m’ont permis de redécouvrir une vérité que j’ignorais : je suis et ai été profondément aimée. Profondément, entièrement, véritablement. Doucement, fougueusement. Amicalement, amoureusement, sensuellement, respectueusement - et même assez salement, mais avec consentement -, et de tant d’autres façons.
Quoi, je m’en étonne ?
Oui, un peu.
Vraiment.
Souvent, trop souvent, nous nous souvenons des querelles, des déchirures, des séparations, des disputes, des fin d’histoires; surtout en amour - ou en amitié, ce qui chez moi est une forme d’amour très pure - ; mais qu’en-est-ils des beaux moments ? Des premiers jours, des liens tissés ? Une fois l’amour terminé, abîmé et retrouvé ailleurs, s’en-souvient-on ?
Souvent, on les enfouit, ou ils se cachent d’eux-mêmes, pour ne pas faire ombre aux nouvelles caresses, aux nouvelles passions, aux nouveaux aimés, ou pour ne pas faire ombre au désespoir, au spleen, aux regrets, au désarroi. Logique. Très bien, même; c’est le processus idéal pour accepter la nouveauté.
Mais lorsque l’amour n’est pas revenu sous une autre forme, lorsqu’on se sent seul, en doute, en souffrance - ou même lorsque parfois on veut se reconnecter à l’entièreté de soi - on aurait bien besoin de se les remémorer, ces souvenirs oubliés.
Pourtant, on a du mal alors à les retrouver, souvent.
Ou bien à leur faire confiance, à les croire; tout se brouille, et comme on se sent perdu, on se convainc qu’on a inventé, déformé le passé.
Oui; il est tellement aisé de penser que nous ne sommes pas dignes d’être aimé, d’être heureux, d’être une priorité et un trésor pour des gens qu’on value.
Sauf que c'est faux. Faux, archi-faux. On est aimable, désirable, respectable.
Et les mots des autres le prouvent, s’il y avait besoin.
Avez vous souvent pris la peine de dire à une personne “Merci, tu m’as rendu si heureux ce soir, je t’aime, tu es merveilleux, je veux te revoir vite, tu me manques” en développant et réitérant si ce n’était pas vrai ? Ou, simplement, en Royaume de pudeur, avez-vous régulièrement écrit de longues phrases pour tenter de vous livrer et récolter ce qu’un autre peut avoir en lui, si vous n'êtes pas profondément attaché à et en soif de cet autre ?
Non. Je ne pense pas.
Ou bien il faut revoir vos stratégies d’amour.
Donc je ne pense pas.
Ce soir, je me rends compte que j’ai été une femme tellement aimée.
Tellement aimée ! Depuis jeune. Depuis très tôt, avec ma personnalité atypique, hyper sensible, rêveuse, fonceuse, généreuse, parfois excessive, mais aimante, j’ai rendu des gens heureux. (...) Et c’est dit avec humilité et recul : ce sont leurs mots. Des amis, des copains, des amours.
J’ai reçu des déclarations d’Amour incroyables. (...)
Mais voilà; je n’étais à l’époque pas capable de lire et de recevoir ça, de comprendre le poids de ces dons de tendresse.
Aujourd’hui, beaucoup plus.
C’est une pluie de lumière qui nettoie l’âme de bien des doutes, d’un coup.
Alors …
Merci.
Encore une fois, si il vous reste des trésors ainsi; des lettres, des cartes, des messages, je vous en conjure : prenez un temps soleil et calme de votre vie pour les relire. Vous y retrouverez tout : traces de vos désirs, vos aventures, des noms que vous aviez occultés; beaucoup d’amour, de tendresse, de quotidien, d'extraordinaire - la description de visites ou activités que vous aviez faites, la mémoire de nuits folles où vous avez aimé - mais dans les mots et yeux de vos amants cette fois - , les pardons après des disputes, les avancées après des incompréhensions, … mille choses encore, puis des banalités.
(...)
Vous vous rendrez compte que vous êtes bien plus précieux que vous ne voulez bien le croire et si, adultes, les mots coulent moins facilement - à cause des soucis du travail, de la pudeur qui s’est construite et puis de la peur de souffrir - , il est pourtant évident que vos relations du moment, les importantes et vraies, pensent autant de bien de vous que ne le pensaient les adolescents de l’époque; ils ont juste plus de verrous et de retenues pour vous le dire; mais vous êtes tout autant aimés, et tout autant précieux. Ne tient qu’à nous d’ailleurs de toquer à la porte de la pudeur de certains en leur déclarant nos sentiments, nos émotions : qu’ils y répondent ou non, ça les réchauffera toujours, à tout âge de la vie.
(...)
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