Paris, France, 2020.
Confinement - Jour 7 officiel, Jour 9 en réel, crise du Coronavirus -
Extrait d'un énième journal, de l'intime, donc; mais un peu censuré.
Je me réveille à quatre heures trente du matin. Je manque d’air, j’ouvre la fenêtre.
Mon obsession est aussi simple qu’étrange : il faut que j’entende une grenouille.
Là, dans ma chambre parisienne, il y a à portée d’oreille le Merle et des oiseaux dont j’ignore le nom mais adore les cris et les chants.
Sauf que j’ai besoin d’entendre une grenouille.
Je dois aller à un étang, plutôt dans une clairière géante, au milieu d’une forêt, et entendre une grenouille.
Est ce qu’il est normal de ressentir ça ?
Je n’ai jamais eu autant besoin d’air.
La nuit m’est mouvementée, mais changée.
Je me réveille aux heures où je m’endormais “habituellement”, cette dernière semaine, ou devrais-je dire première de confinement.
(...)
Il y a une odeur affolante dans ma chambre.
Pourtant, j’ai changé les draps.
Pourtant, tout est propre.
Je ne comprends pas.
Est-ce l’odeur de la Liberté qui se meurt ?
Je me suis rendormie un peu, la brise brisée par les stries des volets m’atteignant doucement sur le dos.
A ce moment je me rends compte que la sensation de froid m’était devenue nécessaire.
On a jamais froid quand on est confiné dans un appartement parisien en plein Mars - en plein Mars, sur une planète Terre, et en dérive, d’ailleurs.
Mais je divague. Je parlais donc du froid. Ce froid venu de dehors, c’était comme une berceuse. Doux, ce contraste entre ce froid sur ma nuque, et le tiède du reste de mon corps emmitouflé dans la couette moelleuse.
J’ai failli écrire “le reste de mon corps confiné”. Ce mot obsède.
(...)
Je ne sais même pas si là, je serais heureuse de voir une âme vivante près de moi. Même pas une âme-qui-me-fait-vibrer, même pas mon frère, père, ni ma meilleure amie, qui que ce soit; je crois que personne ne me conviendrait. Non. Ce n’est là, immédiatement, la solitude le problème. C’est le vide de foi. Le vide de but, d’espoir, de connu. C’est le vide de foi. Je ne sens plus mon âme.
Juste, je voudrais dormir. M’apaiser. Avoir un horizon à viser, un demain clair.
J’aimerais … un planning à nouveau, un temps stressé et fou qui court plus vite que moi, oui; je préfèrerais.
Une Insomnie d'Etat.
Je voudrais que le temps s’écoule comme l’eau jusqu’à la fin du ruisseau, et que je tombe dans la mer de la vie d’avant, pour pouvoir à nouveau nager - c’est à dire aller chanter, rire, jouer, diriger des spectacles, râler sur des trop riens, payer de grasses factures, m’enivrer au restaurant, pousser mes amis à être meilleurs, me faire draguer, et embrasser - dans le sens d'épouser un corps, de "prendre dans les bras" une énergie d'ami que j'aime, voire d'inconnu, ou de collègue doué sur la scène -, projeter, et m'épuiser sous la folie des jours si remplis de vivant. Ah.
En fait, je voudrais risquer au jeu d’aimer et de vivre; totalement, à nouveau.
Il fait mal, il cogne, ce jeu, évidemment, mais qu’est ce qu’il fait du bien, à la fois, comme il donne du chaud au creux, comme il fait pousser des ailes ! Et là, des ailes, j’en ai besoin pour fuir au-delà de la fenêtre et du plafond si triste.
Ah, la vie est plutôt sans jeu quand on est seul avec soi-même, enfermé(e) dans une tour d’Ego - pour rappel, l'Ego n'est pas un gros mot, n'est pas un ennemi; il est par définition " la représentation et la conscience que l'on a de soi-même". Comment, donc, comment voir la vie par le prisme d’autres si on a pour murs et oreilles que des miroirs de ce qu’on sait déjà ?
J’aimerais discuter, débattre, entendre, observer, découvrir, rugir, et ça me manque, les regards que je peux poser sur les badauds ou les aimés, et les murmures qu’ils font sur moi. Les sourires de ceux qui comptent - voire même leurs désapprobations sévères si il doit y en avoir - sur mon quotidien me manquent. Ô combien.
(...)
Que je n’aime pas le temps qui dort ! Je le savais, et déjà fort. Est-ce qu’on peut sortir, alors ? Non, bien sûr, non. Pas dans le Vrai; il faut attendre. Ah.
Photo de présentation par Cyril Romoli.
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